L’intégration éthique du symbolique …

Notre psychanalyse est symbolique également, non pas seulement dans le sens que Jung met sur le concept de symbole (comme expression du Soi provenant du cœur de l’inconscient et venant interpeller le moi), mais aussi dans le sens que Lacan a donné à l’instance du «symbolique» : le lieu structural du langage, véhicule de l’intersubjectivité entre les humains. Le symbolique en ce sens «parle», détermine, aliène, la vie de chaque individu avant même qu’il puisse se nommer lui-même. Il renvoie dès lors à un enjeu éthique : que puisse émerger, se former, s’exprimer avec force au cœur du langage la parole authentique et différenciée du sujet en tant que personne. Du point de vue de la psychanalyse symbolique, cette parole ne peut certes se concevoir comme une affirmation abstraite (égocentrique et narcissique) du moi. Elle se constitue en effet dans l’ancrage avec le Soi, dans sa recherche, toujours originale dans la vie d’un individu, de fonder l’harmonie du mandala psychique, son rapport harmonieux au monde.

La différenciation d’une vie ne se réduit pas en effet à une simple affirmation du moi, par exemple son affirmation contre un père tyrannique ou une mère peu aimante, car une telle affirmation laisserait inchangé le monde symbolique qu’il a intériorisé. La figure du père tyrannique ou celle de la mère abusive demeurerait en fait virulente à l’intérieur de l’inconscient. S’il n’y avait qu’une simple affirmation du moi jusqu’ici écrasé par ces figures, le risque serait grand qu’il s’enferme dans une surcompensation narcissique (que Jung appelle inflation du moi) consistant en une identification inconsciente à la toute puissance de ces figures. Il se comporterait alors sans s’en rendre compte en père tyrannique ou mère abusive pour les autres (ou même pour certains aspects de lui-même), passant ainsi dans sa vie psychique du pôle «masochiste» au pôle «sadique», sans se délivrer jamais vraiment de ce qui l’aliène. C’est pourquoi nous disons que la différenciation n’est pas simplement l’affirmation mais la transformation de tout le monde symbolique du sujet : non seulement celle du moi dans le sens d’une affirmation nouvelle pour lui, mais également celle de toutes les figures intérieures (familiales, transgénérationnelles, culturelles) qui constituent son monde symbolique. Il est nécessaire également que ces figures intérieures du père, de la mère, etc., se différencient elles-mêmes des modèles d’origine au cours du processus analytique des rêves.
Ainsi celui-ci génère une refondation réelle du monde symbolique de l’analysant, une refondation intégrale de son rapport à la vie (dans le sens de l’harmonie du mandala). Une telle transformation ne peut procéder uniquement de la simple volonté du moi, ou sinon elle n’aboutirait qu’à un résultat purement imaginaire. Il est également nécessaire qu’un «nouveau père», une «nouvelle mère», etc., viennent littéralement à sa rencontre dans sa vie intérieure et que cette rencontre intérieure change complètement sa conception du monde.

Tel est le sens d’une véritable transmutation spirituelle. Mais précisément, c’est dans le lent processus symbolique intérieur mis en œuvre par le Soi (notamment dans le travail des rêves) que se forment ces nouvelles figures, leurs rencontres, et la gestation de la différenciation). Ainsi, pour suivre notre exemple (qui n’est qu’un exemple de situation psychique parmi d’autres), pendant toute une première phase de son analyse, les rêves du sujet vont le confronter uniquement à la souffrance occasionnée par le père tyrannique ou la mère abusive. Puis, sans crier gare, vont commencer à apparaître dans ses rêves des figures nouvelles, inédites, de père et de mère positifs. Au travers de ces figures, le Soi l’invite à repositionner sa vie, en se désidentifiant de ses systèmes de défense tragiques et de résistance.

Le processus d’une psychanalyse symbolique se conçoit dès lors comme l’enchaînement combiné et subtil de deux opérations : écouter suffisamment longtemps le processus initiatique qui vient du Soi au travers des rêves et des synchronicités, se laisser transformer son point de vue par lui dans un mouvement de lente infusion ; et répondre concrètement aux injonctions de ce processus, en osant laisser émerger dans sa vie la parole authentique de la naissance à soi-même, en réalisant très concrètement l’initiation et les propositions du Soi par un changement de son rapport au monde.
Les deux opérations sont, dans leur articulation, indispensables à une transformation authentique d’une vie. S’il n’y avait que «l’écoute», le processus de gestation spirituelle se développerait à l’intérieur, mais n’aboutirait pas concrètement à une «nouvelle naissance» du sujet à l’extérieur. S’il n’y avait que la «réponse», le moment de l’affirmation, le processus se perdrait dans une hypertrophie du moi et dans une transformation superficielle et purement imaginaire.

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